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chapitre 2

“ Ça aurait pu être moi “

Le sac de voyage de Sébastien Dubois était prêt. Fin septembre 2021, le triathlète aguerri s’apprête à s’envoler pour le Sahara marocain pour le 35e Marathon des sables.

Les 250 kilomètres dans le désert n’effraient pas ce résident d’Ymeray (Eure-et-Loire), responsable des services généraux dans une entreprise locale et pompier volontaire. S'il s'est mis au sport sur le tard, à 36 ans, ce père de trois enfants affiche 12 ans après un palmarès impressionnant : 35 marathons, 12 Ironman et 2 extrêmes Ironman. Devenu addict à l’effort, il s’attaque en juin 2021 au quintuple Ironman de Colmar. « J’ai commencé la course le lundi à 7 heures du matin, je suis arrivé le samedi, après 19 kilomètres de nage, 900 de vélo puis 211 de course à pied », sourit l’homme à l’esprit volontiers chambreur, qui a fini huitième mondial et deuxième Français en 121 heures. La semaine suivante, il enchaîne avec le Vrai tour d’Eure-et-Loire, un ultra cyclisme de 400 km. « J’avais encore les jambes », nargue-t-il.

10 jours avant le Marathon des sables, Sébastien Dubois se rend chez son cardiologue pour un électrocardiogramme au repos, obligatoire pour l’épreuve. Mais le spécialiste détecte une irrégularité, confirmée par un test d’effort 3 jours plus tard.
Sébastien Dubois
Triathlète

Après une IRM cardiaque finale, le verdict tombe : le sportif a fait deux infarctus dont un qui a endommagé une valve à 44 % avec une nécrose, il va devoir être opéré. Il n’a pourtant jamais ressenti de symptômes.

« A ce moment-là je m’écroule en larmes. Je me demande si je vais mourir. Ça fait flipper, franchement, raconte le triathlète. Et puis je suis abattu de devoir arrêter le sport. » Les jours passent et l’homme de 48 ans essaye de relativiser. Un événement va de toute façon l’y forcer.

Le 4 octobre, un Français proche de la cinquantaine décède d’un arrêt cardiaque lors de la deuxième étape du Marathon des Sables, la course à laquelle il a dû renoncer. « Ça aurait pu être moi », conclut Sébastien Dubois. Cette phrase, beaucoup de sportifs professionnels ou amateurs se la répètent après avoir arrêté la compétition à cause d’une anomalie cardiaque. Le dernier cas emblématique date du 6 septembre dernier : en larmes ce jour-là, le rugbyman du XV de France, Virimi Vakatawa, annonce mettre un terme à sa carrière en raison d'une pathologie cardiaque évolutive détectée en 2019 et régulièrement contrôlée. Selon les derniers examens, le risque est devenu trop important. Le nom du trois-quarts centre, âgé de seulement 30 ans, n'est que le dernier d'une liste qui n'a cessé de s'allonger au cours des dernières années.

En décembre 2021, l’attaquant argentin du FC Barcelone, Sergio Agüero, annonçait mettre fin à sa carrière à 33 ans suite à des problèmes cardiaques.

Le même mois, Kevin Gourdon, troisième-ligne du Stade Rochelais et international français, prenait une décision identique

En février 2020, Jimmy Turgis, coureur cycliste français, a mis fin à sa carrière à 28 ans à cause d’une malformation cardiaque. Deux ans auparavant, son petit frère Tanguy avait pris la même décision.

En septembre 2016, Charles N’Zogbia, milieu de terrain et international français, voit son transfert à Nantes capoter à cause d’un problème cardiaque et s’arrête à 30 ans.

En août 2008 déjà, Lilian Thuram avait vu son transfert au Paris Saint-Germain avorté après la visite médicale et avait rangé les crampons à 36 ans après la détection d’une malformation cardiaque.

Un handicap invisible et souvent brutal car il demeure longtemps insoupçonné chez des athlètes pro ou semi-pro, généralement surveillés et en pleine forme,

mais la pratique du sport à haut niveau est totalement incompatible avec un problème cardiaque.

Alors, quand un cardiologue vous annonce après un examen de routine que vous devez mettre fin à votre passion, ce n’est pas facile à entendre.

Sur l’étagère de sa chambre, Marius Grébo a gardé quelques trophées de sa courte carrière.

Des récompenses reçues après avoir été le meilleur joueur des tournois de football auxquels il participait. Mais il y en a une dont le jeune homme de 17 ans est particulièrement fier : celle décernée pour son but mis au Stade de France avec les U9 du Stade Rennais contre Saint-Etienne, en match d’ouverture de la finale de la Coupe de la Ligue 2013.


Je m’étais juré de revenir au Stade de France pour marquer d’autres buts
Marius Grébo
jeune footballeur rennais de 17 ans

Jusque-là, tout allait bien pour Marius Grébo. Repéré par le Stade Rennais à 7 ans, il signe son premier contrat avec le club à 13 ans pour deux ans de préformation et enchaîne avec le centre de formation. Le jeune garçon, dont le grand sourire le quitte rarement, raconte avec nostalgie ces belles années où il affrontait les plus grands clubs de Ligue 1 et s’entraînait avec Eduardo Camavinga (qui lui a offert un maillot porté en Ligue Europa).

A l'été 2019 avant sa première saison au centre de formation, le milieu de terrain passe des examens de routine, comme lors des deux années précédentes. Il remarque que le cardiologue passe plus de temps avec lui qu'avec ses coéquipiers mais ne s’inquiète pas. « Je n’avais aucun symptôme. Aux tests d’effort, j’étais toujours parmi les meilleurs. En plus, j’étais milieu donc je courais beaucoup », justifie-t-il. Entre-temps, il reprend les entraînements et ne s'alarme pas plus que ça quand on lui demande de passer une IRM un mois plus tard.

Le verdict tombe le 3 octobre 2019 : il doit arrêter le foot DE haut niveau à cause d’une cardiomyopathie hypertrophique.

« Un ventricule de mon cœur est trop gros pour mon âge. J’ai un cœur qui correspondrait à la morphologie d’un gars comme Teddy Riner », résume-t-il. C’est d’abord l’incompréhension, le déni et l’énervement qui submergent Marius. Les pleurs viendront plus tard. « Depuis tout petit, je consacre toutes mes soirées et mes week-end au football et en un examen, c’est le rêve qui s’effondre. Tous ces sacrifices pour ça quoi, enrage le Rennais. Et surtout je me dis : qu’est-ce que je vais faire maintenant ? Je suis complètement perdu. »


J’avais peur que mon fils fasse une grosse dépression.
Nathalie Grébo
mère de Marius

Pour les cardiologues, annoncer à un athlète qu’il doit arrêter le sport de haut niveau n’est pas non plus évident. Ils sont conscients que leur diagnostic sera lourd de conséquences. D’autant plus que s’il y a des cardiopathies détectables en un coup d’œil, d’autres cas se révèlent bien plus complexes.

Car le cœur du sportif est généralement plus dilaté qu’un cœur lambda et peut être pris pour un cœur pathologique par un médecin non initié.


On est parfois à la frontière de la cardiopathie hypertrophique. Et là on est assez gêné parce qu’on est en pleine zone grise
Professeur Etienne Aliot
cardiologue au CHU de Nancy

Un bon moyen pour faire la différence entre un cœur de sportif et un cœur malade est d’arrêter l’athlète pendant plusieurs mois pour voir si le muscle cardiaque se remodèle. C’est alors prendre le risque de faire perdre au patient une saison, voire deux, le temps qu’il retrouve son niveau. Dans certains cas, les cardiologues ont donc recours à une décision partagée, prévue par la loi. Avec le patient, ils décident de la meilleure décision à prendre en fonction des risques. On parle là d’exemples où chaque patient est raisonnable et à l’écoute de son médecin. Bref, une utopie.


Certains sont prêts à mourir sur un vélo plutôt que de ne pas pédaler. Un coureur voulait signer un papier de décharge disant qu’il prenait son propre risque et qu’il n’attaquerait pas la fédé en cas d’accident. Mais ce n’est pas possible de faire cela en France
Eric Meinadier
médecin de la Fédération française de cyclisme

De son côté, Nelson Maxwell ne voulait pas abandonner le football. Le défenseur de l’US Ivry (Val-de-Marne), d’origine ghanéenne, a une vingtaine d’années lorsque son médecin trouve son rythme cardiaque problématique. Il lui signe quand même sa licence mais lui recommande d’aller faire des tests. « Je n’y suis jamais allé, avoue ce colosse d’un mètre 94 et 100 kilos. J’étais convaincu qu’une carrière m’attendait et que je finirais pro. Je vivais tellement un rêve que je refusais qu’on me l’enlève. Alors j’ai fait l’autruche. » Aujourd’hui, ce moniteur d’auto-école basé à Nîmes, âgé de 34 ans, reconnaît que c’était « une belle connerie ».

Il doit sans doute sa vie à un pneumothorax détecté en mars 2018. Avant un match contre Amiens qu'il doit disputer avec le FC Fleury 91, Nelson Maxwell se plaint d’une violente douleur aux poumons. Rien de très grave et l’affaire est facilement réglée à l’hôpital où il reste en observation. Cette nuit-là, l’infirmière constate les variations anormales du rythme cardiaque du défenseur. Quelques tests plus tard, on lui diagnostique une cardiomyopathie hypertrophique.

« Quand le cardiologue, que j’avais dû voir une ou deux fois avant, m’annonce que je dois arrêter le sport, j’acquiesce mais dans ma tête, je me voyais à l’entraînement le lendemain, s’amuse Nelson Maxwell. Je me souviendrai toute ma vie de ce qu’il m’a dit ensuite : “Si vous continuez le sport en compétition, c’est simple, c’est la mort subite qui vous attend.” Il m’a fait comprendre que vu l’état de mon cœur, je pouvais déjà m’estimer heureux d’être assis en face de lui. »

L’arrêt est d’autant plus brutal pour les sportifs professionnels.

Le 4 juillet 2009, Steve Savidan ne peut pas retenir ses larmes en conférence de presse quand il annonce mettre fin à sa carrière. « Ça va être dur, c’est une page qui se tourne. Je suis désolé », craque « Savigoal » au moment de remercier sa femme et ses amis auprès de lui. L’attaquant, passé par Valenciennes et Caen, devait signer le « contrat de sa vie » à l’AS Monaco et rêvait de regoûter à l’équipe de France (une sélection contre l’Uruguay en amical le 19 novembre 2008) et de partir à la Coupe du monde en Afrique du Sud un an plus tard.

Steve Savidan
Ancien footballeur international

Alors qu’il avait le stylo dans les mains, le jour de ses 31 ans, le joueur est interrompu par le médecin monégasque

Ce dernier a détecté une dysplasie ventriculaire droite arythmogène à la visite médicale. « Si j’avais su à quel point l’après était compliqué, je ne sais pas si j’aurais arrêté tout de suite », reconnaît l’ancien attaquant de 43 ans, reconverti en coach sportif et mental. Il y a d’abord son contrat au SM Caen jusqu’en juin 2012 qui n’a pas prévu ce genre de problème, entraînant un litige de plusieurs mois entre les deux parties. « Ça s’est réglé à l’amiable », écarte Steve Savidan, qui loue l’accompagnement de l’UNFP, syndicat des footballeurs professionnels. L’attaquant a en revanche été pendant plusieurs années en procès avec sa banque pour des histoires d’assurance et de remboursement de prêts.


C’est un retour brutal à la vie normale et tu te retrouves tout seul. Alors que tu étais reconnu au niveau de la société, d’un coup on ne te calcule plus, tout s’effondre. Il y a tout un processus d’incompréhension et de méconnaissance du quotidien
Steve Savidan
ancien footballeur international

Une étape finalement assez classique pour les néo-retraités du monde professionnel qui traversent « la petite mort du sportif ». « Quand on choisit d’arrêter, c’est encore autre chose, ça se prépare, coupe Steve Savidan. Mais quand ça s’arrête alors que tu ne l’avais pas prévu, ça remet beaucoup de choses en question. »

Après avoir dépassé l'appréhension de se remettre à courir, Steve Savidan chausse aujourd’hui les crampons quasiment tous les week-ends sur les terrains amateurs. Car si la pratique sportive à haute intensité est très souvent contre-indiquée en cas d’anomalie cardiaque, le sport loisirs est à l’inverse fortement conseillé.


Beaucoup de sportifs qu’on a dû arrêter ne font plus aucune activité physique. Ils vont se mettre à manger n’importe quoi, tomber dans le tabagisme ou l’alcool. Et là on fait plus de mal que de bien à la personne. C’est pourquoi on insiste pour qu’elle continue le sport en l’adaptant à sa situation
Professeur Carré
cardiologue et medecin du sport, professeur en physiologie cardio-vasculaire a l’université de Rennes

Cela dépend si la personne a une maladie curable ou non. En cas d’infarctus du myocarde par exemple, il suffit de déboucher l’artère coronaire et la personne peut généralement reprendre le sport. Si l’anomalie est incurable, la personne se voit prescrire des médicaments, comme des bêtabloquants, qui empêcheront les troubles du rythme cardiaque, lors d’un effort modéré.

Malgré le traitement, Romain Sicard a préféré ranger le vélo.

En avril 2021, le coureur cycliste de Total Direct Energie, champion du monde sur route espoirs en 2009, met fin à sa carrière à 33 ans, à cause d’une dysplasie arythmogène du ventricule droit. « Un gros coup de massue, résume le natif du Pays Basque, dont le cœur était déjà suivi de près par la fédération depuis plusieurs années. C’est une plaie qui restera toujours ouverte. »

Alors le cycliste a tourné la page et n’a plus de deux-roues. « C’est peut-être moins douloureux, confesse-t-il. Et je me voyais mal faire une heure de vélo pépère à 25 à l’heure. Quand on a été pro, qu’on s’est toujours tapé dedans comme on dit, ce n’est pas ce qu’on recherche. Je préfère ne pas faire de vélo du tout. »

Romain Sicard
Ancien coureur cycliste professionnel

Il doit aussi y avoir une part d’appréhension. Je n’ai pas envie de monter sur un vélo en me disant que ça peut être ma dernière sortie
Romain Sicard
coureur cycliste professionnel français

Romain Sicard fait depuis de la randonnée et s’est mis à l’escalade en salle. Pour autant, le Basque n’a pas totalement enterré sa vie d’avant. A côté de sa formation professionnelle sur la création d’entreprise et le management, il encadre bénévolement une équipe locale de juniors et compte bien garder un pied dans le milieu du cyclisme au cours de sa « deuxième vie ».

A Rennes, Marius Grébo espère toujours côtoyer le milieu pro du football mais depuis les tribunes du stade en tant que journaliste sportif.

Aujourd’hui en terminale générale au lycée Bréquigny, l'ex-milieu de terrain rennais attend comme la plupart des jeunes de son âge les résultats de Parcoursup pour connaître la suite de sa carrière. L’ancien espoir a été tenu éloigné du foot ces derniers mois à cause d’une rupture des ligaments croisés. « Bizarrement, j’ai plus peur d’une nouvelle blessure au genou que de la mort subite », reconnaît le jeune homme, qui a repris le foot à 11 de manière réglementée.

Marius Grébo

De son côté, Nelson Maxwell s’est remis au foot loisir. A chaque rendez-vous chez son cardiologue, il demande s’il peut reprendre le sport en compétition. La réponse est toujours non pour l’instant. « Parfois, j’en viens presque à espérer qu’il me dise que je ne peux plus jouer en compétition, comme ça je tourne la page et je passe à autre chose », confie l’ancien footballeur. Et si son médecin lui a confié dès le départ qu’il trouverait toujours un généraliste prêt à lui signer un certificat pour une licence, Nelson Maxwell s’est assagi et respecte les consignes de son cardiologue.


Je prends déjà assez de risques en conduisant tous les jours à 110km/h avec des gens qui n’ont jamais tenu un volant dans leur vie. Je n’ai pas besoin d’en prendre plus en faisant le con avec mon cœur
Nelson Maxwell
ancien footballeur, moniteur d’auto-école à Nîmes

chapitre 3 

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