parcourir les chapitres
chapitre 3

histoires de ressuscités

L’histoire est belle, magnifique lorsqu'on sait qu'elle a frôlé le drame. Le samedi 26 mars 2022, Christian Eriksen, équipé d’un défibrillateur automatique implantable, faisait son grand retour avec le Danemark en amical contre les Pays-Bas et inscrivait un but sur son premier ballon.

3 jours plus tard, le milieu offensif de Brentford revenait avec sa sélection à Copenhague, ovationné par un stade qui l’avait cru mort neuf mois auparavant à l’Euro.

Christian Eriksen
26 mars 2022, Danemark - Pays-bas

Des retrouvailles dignement célébrées grâce à un nouveau but du numéro 10 danois. Si cette histoire est connue de tous les amoureux de football, on peut en trouver des dizaines d’autres semblables chez les amateurs. Ces sportifs doivent leur retour à la vie sans séquelle à un coéquipier formé et réactif ou à des secours présents sur place. Sans oublier leur bonne étoile qui ne devait pas être très loin ce jour-là... Comme pour les sportifs ayant arrêté prématurément leur carrière, il est fortement conseillé aux athlètes ayant fait un arrêt cardiaque de reprendre le sport, toujours en l’adaptant à la situation, sans forcer, et en accompagnant cette reprise d’un traitement médicamenteux voire d’un défibrillateur, comme pour Eriksen.

Finalement,  selon les spécialistes, l’histoire du Danois est devenue le symbole de l'amélioration de la politique de lutte contre la mort subite. Mais s’il faut encore rappeler qu’une majorité de sportifs garde des séquelles d'un accident cardiaque (les laissant parfois dans un état végétatif), cette stratégie consistant à miser sur la réanimation, compte tenu des problèmes que pose la détection de ce type d'anomalie (voir chapitre 1), est toujours débattue. Notamment sur le volet des séquelles psychologiques auxquelles doivent également faire face les "ressuscités" professionnels ou amateurs. Quand bien même ces derniers reprennent leur sport. Car rien n'est plus jamais pareil.

Se relève-t-on si facilement d’avoir affronté la mort pendant quelques minutes ?

Et comment reprendre le sport quand on a précisément failli laisser sa peau sur un terrain ?

Trois miraculés racontent

01
Jean-Christophe,

ami pour la vie

Un lundi soir de février 2020, ce paysagiste de Chartres s’effondre après trois tours de piste à l’entraînement.

Un échauffement de routine pour ce sportif de 54 ans, habitué des courses à pied longues distances parfois dans des conditions extrêmes, finisher d’un triple Ironman. Toujours est-il que quelques minutes de foulées ont suffi pour causer un arrêt cardiaque. Ce soir-là, son sauveur n’est autre que son meilleur ami et entraîneur du club, Sébastien Dubois, lui aussi confronté à un problème au cœur un an plus tard (voir chapitre 2).

Aidé par d’autres coéquipiers, celui qui est aussi pompier volontaire depuis 20 ans fait tout pour ranimer son « Jean-Chri » pendant un quart d’heure. « C’est rien et pourtant sur place, cela semble une éternité », se remémore Sébastien Dubois. Du côté de Jean-Christophe, les souvenirs de cette soirée sont forcément plus flous. « Je vais peut-être en décevoir certains, mais il n’y a pas de tunnel de l’autre côté », plaisante-t-il d’abord. Il se rappelle surtout des douleurs à la poitrine : durant le massage cardiaque, une petite dizaine de côtes a été fêlée. « Pendant un mois je n’ai pas pu tousser ou rigoler sans avoir mal. Mais bon, tu souffres, c’est rien, au moins t’es en vie », sourit le paysagiste. Jean-Christophe reprend définitivement connaissance sur la table d’opération. Le chirurgien lui a posé un stent et lui explique qu’un morceau de gras s’est décroché et a fini par boucher une artère principale à 99%. « J’ai été fumeur et puis j’aime bien la table aussi, notamment la charcuterie », reconnaît le quinquagénaire. 

Malgré cet arrêt cardiaque, la reprise du sport a été une évidence pour Jean-Christophe.


Un premier cardiologue m’avait dit que je ne pourrais plus faire de compétition. C'est bête mais c'est comme s’il m’avait annoncé que ma vie était finie.
Jean-Christophe Gaudou
coureur de 54 ans

Pendant quatre semaines, dans un centre de rééducation de la région, le coureur se remet doucement au sport. D’abord le vélo puis la piscine « pour ne pas prendre trop de risques ». La reprise réelle du footing viendra quelques mois plus tard. Au centre de réadaptation cardiaque, il prend aussi note de quelques conseils de nutrition. « Je fais un peu plus attention, je mange moins gras. Et puis j’ai arrêté le whisky, je me suis mis à la bière », se marre-t-il.

Cette plaisanterie montre à quel point Jean-Christophe a facilement tourné la page de son arrêt cardiaque. « Beaucoup de gens m'ont demandé si j’étais allé voir un psy, mais je n’en vois pas l’intérêt, assure le rescapé. En revanche, oui, je profite un peu plus de la vie et je rouspète moins. »

A l’inverse, cet épisode a marqué Sébastien. Alors, quand un an et demi plus tard, on lui annonce qu’il a échappé de peu à la mort subite, le triathlète prend la chose très au sérieux.

Et il est curieux de voir que des deux compères, c’est le ressuscité qui a repris le sport le plus facilement.


On n’a pas la même conscience de ce qu’est la mort subite. Moi j’ai vu ce que c’est de mes propres yeux. Jean-Chri, lui, s’est juste étalé puis s’est réveillé à l’hôpital avec une grosse bosse à la tête.
Sébastien
triathlète

Sébastien est opéré d’un quadruple pontage coronarien, réduisant considérablement ses chances de faire une mort subite. Il a néanmoins tiré un trait sur son déca Ironman prévu en 2023. « C’est fini tout ça, balaye-t-il. Un simple Ironman ce sera le maximum, et encore à voir. » Jean-Christophe en a refait un avec sa femme, après avoir vu un autre cardiologue qui lui a donné son feu vert. Quitte à reprendre le sport, il n’avait visiblement pas envie de le faire à moitié. Le survivant s’est aussi attaqué à l’Ultra Marin, une course faisant le tour du golfe du Morbihan sur 175 kilomètres. « Mais jamais à fond », précise-t-il.

Le sportif jure tout de même qu’il fait plus attention qu’avant pour moins mettre son cœur à rude épreuve. « Je suis quand même obligé de le freiner un peu de temps en temps, s’amuse Sébastien. Je prends toujours soin de lui. » Avec un ami comme ça, pas besoin d’une bonne étoile.

02
Philippe,

10 minutes chrono

Le 24 avril 2018, l’homme aujourd’hui  âgé de 62 ans participe à un tournoi d’anciens rugbymen à Dax avec son club de toujours, Saint-Vincent-de-Tyrosse (Landes).

Ce jour-là, l’équipe locale se voit remettre un défibrillateur par l’association "Au cœur des jumeaux". Et une phrase prononcée par le responsable des anciens de Dax résonne encore très clairement dans la tête du Tyrossais : « Bien entendu, on espère ne pas avoir à s’en servir aujourd’hui. » Manqué.

Dix minutes plus tard, Philippe Richaud est dans les vestiaires. Il commence son échauffement et fait doucement monter le cardio à base de mouvements d’épaules classiques. D’un coup, une douleur qu’il traîne à la mâchoire depuis plusieurs mois s’intensifie et le rugbyman s’effondre. Il est massé et choqué trois fois avant de revenir à lui. « Je vois des copains qui m'entourent autour du camion de pompiers et qui me disent “Ça va le faire Fifi, t’es le plus fort”. A ce moment-là, je suis persuadé d’avoir pris un chaos suite à un gros tampon sur le terrain », raconte le rugbyman. Il apprendra plus tard à l’hôpital de Bayonne qu’il avait une artère bouchée ayant causé un arrêt cardiaque.

Celui qu’on surnomme “le miraculé” dans la région s’estime heureux d’être mort au stade de Dax, et non une semaine plus tôt, quand il était en pleine randonnée à ski en montagne. Alors le sexagénaire ne rechigne jamais à raconter son histoire, qui s’est même invitée dans les pages de la Gazzetta Dello Sport et d’autres journaux étrangers, pour sensibiliser le monde du sport sur l’intérêt du défibrillateur afin de sauver des vies. Tous les clubs d’anciens de la région se sont équipés après l’accident. Témoigner permet à Philippe Richaud de se reconstruire.


On ne s’en relève pas si facilement d’avoir affronté la mort. Se dire qu’on est passé de l’autre côté et qu’on en est revenu, on y pense toujours forcément.
Philipe Richaud
rugbyman de 62 ans

Le sportif préfère malgré tout le voir comme « une belle histoire », lui qui a déjà assisté à deux morts subites sur un terrain. « On vous remet très vite au sport pour que vous repreniez confiance progressivement », confie le réanimé qui n’a pour autant jamais totalement évacué sa « crainte de se mettre dans le rouge ». Un psychiatre l’a aussi aidé à surmonter le traumatisme grâce à la méthode EMDR. Venue des Etats-Unis, cette thérapie vise à soigner les troubles psychotraumatiques par des mouvements oculaires de droite à gauche. « C’est sûr que j’en avais besoin et j’aurais pu davantage approfondir cette méthode. Encore aujourd’hui, quand une émotion un peu trop forte remonte, je tapote à droite et à gauche », accompagne-t-il d’un mouvement de doigts sur sa cuisse.

Quelques mois après son incident, il a rechaussé les crampons au stade de Dax. « Je voulais vaincre le signe indien. Il n’y a qu’une chose que j’ai voulu éviter, c’est retourner dans les mêmes vestiaires », se souvient-il. Et a-t-il acquis le réflexe de chercher l’emplacement du défibrillateur dès qu’il entre dans un stade ? Pas systématiquement, reconnaît le sportif, aujourd’hui à quatre séances d’activité physique par semaine. « Je les remarque parfois en passant. Avant, je ne les regardais pas. Maintenant, disons qu’ils me font un peu plus de l’œil », sourit-il.

03
Arnaud,

le ressucité marathonien

Arnaud Fay a eu la bonne idée de mourir devant la tente des secours.

100 mètres avant et il ne serait peut-être plus là pour raconter son arrêt cardiaque.

Le 8 octobre 2017, ce contrôleur de gestion de Lamballe s’attaque au semi-marathon de Rennes. Rien d’insurmontable encore pour ce footballeur amateur tombé amoureux de la course à pied grâce à son père marathonien qui l’accompagne ce jour-là. Le Breton vise d’ailleurs plus haut : il s’est inscrit pour le marathon de Paris l’année suivante. La course se passe sans problème mais « à la ligne d’arrivée, c’est le trou noir, raconte-t-il. Je me souviens simplement de mon père au-dessus de moi avec une couverture de survie qui me dit que j’ai fait un arrêt cardiaque. »

Choqué une fois et revenu à lui, le coureur est transporté à l’hôpital de Rennes où il subit toutes sortes d’examens. « On m’a dit que j’avais fait une mort subite du sportif mais on ne sait pas pourquoi. J’ai un cœur sain de sportif », assure le quadragénaire. Alors dans le doute, les médecins lui implantent un défibrillateur. Arnaud Fay soulève son t-shirt pour montrer la bosse de 10 centimètres de long sous sa peau, sur son flanc gauche, se demandant « comment Eriksen fait pour jouer au foot à haut niveau avec ce truc-là ».


On me dit simplement de reprendre une vie normale. Mais à ce moment-là, on se demande ce que ça veut dire une vie normale. Surtout avec ce corps étranger sous ma peau auquel je dois m’habituer.
Philipe Richaud
rugbyman de 62 ans

A l’époque, Arnaud Fay se demande surtout s’il pourra reprendre le sport. Une question prématurée au vu de son état à la sortie de l’hôpital. « C’était un papi, témoigne son épouse Julie. La première année a été un enfer. Je me suis retrouvée avec deux enfants et un mari de 36 ans incapable de faire deux pas sans s’assoir. » Ce n’est qu’un an après son accident qu’il intègre un centre de réadaptation cardiaque pendant trois semaines.

Au fil des mois, son état physique s’améliore, tout comme son état psychologique. « Sur le coup, on ne réalise pas trop qu’on a échappé à la mort. C’était trop dur de parler de ce qu’il m’était arrivé. Ça fait partie de ma thérapie de me livrer pour mieux accepter cet événement », confie-t-il. Toute la famille a eu un suivi psychologique. « Notre grande fille avait 6 ans quand c’est arrivé. Elle est très angoissée quand Arnaud part courir. Elle a toujours cette peur de voir papa tomber », raconte sa mère Julie. Début 2021, après des tests concluants, Arnaud est autorisé à reprendre les courses, sans se mettre dans le rouge. Un an plus tard, le coureur peut s’engager sur le marathon de Paris, aux mêmes conditions.

Un défi que s’est lancé le joggeur pour définitivement tourner la page de son accident.

Ce dimanche 3 avril, 4h13 après avoir pris le départ depuis les Champs-Elysées avec son dossard 63976, Arnaud Fay, accompagné de sa femme et ses deux filles ayant déjoué la sécurité, déboule sous l’arche de l’arrivée, avenue Foch. Il a mal aux hanches et aux genoux mais se sent « nickel au niveau du souffle. J’ai à peine regardé ma montre ! », se réjouit le finisher. Il ne faut que quelques secondes pour que toute la famille craque dans un câlin collectif. Sa femme et ses filles ne peuvent contenir leurs larmes alors lui non plus. « Cela fait cinq ans que notre vie est totalement chamboulée. On a vécu des grosses épreuves alors tout le monde s’est lâché, c’est normal », sanglote la maman. Arnaud pense aussi à son père qui n’a pas pu être présent. « Il y a cinq ans, il m’a vu à terre en train de me faire masser entouré de draps blancs. Emotionnellement, c’était trop dur pour lui de venir aujourd’hui », comprend son fils.

Quelques mètres plus loin, il parvient à convaincre une bénévole de lui donner deux médailles. L’autre sera pour son père. Tout sourire, il enfile la sienne autour du cou et son t-shirt finisher sur les épaules. « Il y a cinq ans, je n’avais pas pu faire ce marathon à cause de mon arrêt cardiaque. Aujourd’hui, la boucle est bouclée », conclut-il satisfait. Depuis, Arnaud a repris l’entraînement. Son prochain objectif est un trail de 17 kilomètres. En attendant sans doute un deuxième marathon.

revenir à l'accueil