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introduction

" On nous a simplement dit que c’était la mort subite du sportif "

C’est un simple portrait accroché au mur du local du Rugby Club Ustaritz Jaxtou. La photo d’un jeune rugbyman, passé par toutes les catégories dès l’âge de cinq ans dans ce club des Pyrénées-Atlantiques, maillot rouge et jaune sur les épaules, croix basque noire sur la manche, bandage de la même couleur sur le front, le regard déterminé.

L’image est accompagnée d’un sobre “Peio bihotzean" (“Peio dans notre cœur" en basque), en hommage au joueur, décédé d’un arrêt cardiaque.

On se dit toujours que ça arrive ailleurs, mais pas chez nous… Et puis, pas comme ça. Pas pour un gamin de 17 ans.
Florence Reau
co-secrétaire du club

Le 5 avril 2021, lundi de Pâques. Le jeune Peio Oyhamburu accompagne son grand-frère Iban et sa petite-sœur Lena pour un banal footing. Rien d’insurmontable pour ce troisième-ligne aile d’un mètre 90, aux aptitudes physiques impressionnantes, notamment à la course. « Avec Iban, ils brillaient toujours aux cross du collège ou du lycée. On les appelait les frères kényans », assure Brahim Benhamada, entraîneur des deux frères à Ustaritz. Les trois jeunes prennent alors le chemin habituel de deux kilomètres derrière la maison de leurs parents à Larressore, petit village à côté d’Ustaritz, le long de la Nive. Se sentant en forme, Peio allonge la foulée. Sur le chemin du retour, il croise Iban et Lena. Mais lorsque ceux-ci reviennent à la maison, aucune trace de Peio. Ce n’est que trois heures plus tard que son corps est retrouvé dans des hautes herbes en bordure du chemin. Le jeune homme est décédé d’un arrêt cardiaque en plein effort, sans que l’on connaisse encore la raison.

« On nous a simplement dit que c’était la mort subite du sportif. Comme si on éteignait la lumière d’un coup et voilà, c’était fini », raconte la gorge serrée Nadine Oyhamburu, la mère de Peio, professeur de sciences encore en arrêt de travail. Le jeune homme a été enterré au cimetière de Larressore avec son maillot de rugby et son numéro 7.

Rugby Club Ustaritz Jaxtou

En France, la mort subite touche entre 40 et 50 000 personnes chaque année.

Généralement, le cœur s’emballe brutalement, de façon extrême et anarchique, ne peut plus se contracter normalement et s’arrête tout aussi soudainement. Le plus souvent, cela est dû à une maladie coronarienne, à cause d’une artère bouchée par des matières grasses par exemple, ou une cardiopathie congénitale, malformation de naissance empêchant le bon fonctionnement du muscle cardiaque. Parmi ces milliers de victimes annuelles, on recense plusieurs centaines de sportifs.

On parle alors logiquement de mort subite du sportif.

Elle se caractérise par le même trouble du rythme cardiaque et un arrêt brutal, mais spécifiquement au cours de l’effort physique ou dans l’heure suivante. L’histoire de Peio le montre et nous avons pu le constater au cours de notre enquête : tous les âges peuvent être concernés. Pourtant, cette mort subite du sportif est souvent insoupçonnée. Après tout, le sport est bon pour la santé et le muscle cardiaque, tout le monde le sait. Chaque médecin le martèle : il y a plus de chance de mourir d’un problème cardiaque à cause de la sédentarité que de la pratique sportive. Il n’empêche que le sportif n’est pas non plus intouchable. Et peut même se mettre en danger sans le savoir.

Le cas du footballeur Christian Eriksen, qui s'est effondré sur le terrain, a marqué les esprits lors du dernier Euro. Certains ne se sont jamais relevés. D'autres ont eu plus de chance mais ont vu leur vie brusquement basculer. Ces dernières années, la liste des sportifs de haut niveau contraints d'arrêter leur carrière à la suite d'une anomalie cardiaque n'a cessé de s'allonger : Sergio Aguero, Kevin Gourdon, Jimmy Turgis, et dernièrement Virimi Vakatawa. Autant de carrières brisées quand le cœur se met à dérailler. D'autant que le phénomène est identique dans le sport amateur, où les contrôles sont souvent déficients, augmentant les risques d'accident. Enquête sur une épidémie qui prospère à bas bruit.

chapitre 1 

les morts dans l’indifférence